A la lumière de l'économie Lectures en économie

De l’impact des mesures sanitaires sur l’économie

D

 

 

Préambule

Personne n’est venu me demander si, en tant que personne âgée, j’étais d’accord pour prendre des risques si cela pouvait sauver l’Amérique que toute l’Amérique adore et la transmettre à nos enfants et petits-enfants. Si c’est ce que l’on obtient en échange, je fonce.

Dan Patrick, Texas Lieutenant Governor1Ces propos ont été tenus sur la chaîne conservatrice Fox News le 23 mars. Cette citation en français est extraite de l’article du Huffington Post du 26 mars.

Les questions du confinement et des mesures de distanciation sociale sont au centre des décisions politiques depuis l’émergence de la crise du Covid-19. L’efficacité sanitaire de ces mesures, au moins sur le court terme, semble faire sens auprès des autorités de santé publique. Elles doivent permettre d’écrêter le pic épidémique pour éviter l’engorgement du système de santé et limiter ainsi le nombre de victimes. Mais le coût économique de ces mesures fait débat et peut sembler exorbitant pour tous les pays concernés. C’est notamment le cas aux États-Unis où l’opposition entre Républicains, comme Dan Patrick, et Démocrates, fait rage sur cette question. Donald Trump refuse d’ailleurs toujours d’imposer un confinement à l’échelle du pays. Il y aurait donc un arbitrage à effectuer entre objectifs sanitaires et prospérité économique.

Bien entendu, il pourrait sembler déplacé à certains de parler d’économie actuellement. Dans ce contexte, et pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté, l’avant-propos du point conjoncture de l’Insee du 26 mars 2020, par son directeur général Jean-Luc Tavernier, peut être repris sans restriction :

J’ai (…) hésité avant de donner mon feu vert (à la publication de la note de conjoncture), pour deux raisons.

 

La première, c’est qu’il peut apparaître dérisoire de mesurer l’activité économique quand la préoccupation première est d’éviter une catastrophe sanitaire. Le temps est au suivi de l’épidémie et à l’expertise de santé publique, certains pourraient être choqués de l’attention qui est également portée aux grandeurs économiques. Cependant, il me semble indispensable de mesurer le choc que connaît l’économie, indispensable aux décideurs, indispensable aux acteurs économiques. Et même si l’Institut statistique devait rester muet, d’autres avanceraient de toutes façons leurs estimations.

 

La seconde, c’est qu’un statisticien répugne à donner un résultat dont il n’est pas suffisamment assuré. Et c’est peu de dire que ce que nous présentons aujourd’hui est fragile, susceptible d’être révisé. D’abord parce que nos méthodes dans une telle situation ne sont pas éprouvées : c’est inédit dans l’histoire de l’Insee. C’est fragile aussi parce que la situation elle-même est très évolutive : dans certains secteurs industriels et dans les travaux publics, l’activité reprend après s’être interrompue ; dans d’autres secteurs, par exemple dans les services aux entreprises, le creux n’est sans doute pas encore atteint. Quoi qu’il en soit, pour incertain et imprécis qu’il soit, il m’a semblé que donner ce premier ordre de grandeur était préférable à ne rien dire du tout2Source : Insee, Point de conjoncture du 26 mars 2020, Communiqué de presse.

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Un impact du Covid-19 encore incertain mais qui s’annonce majeur

Prévoir l’impact économique de cette crise est d’une grande difficulté, étant donné la soudaineté de son déclenchement, les inconnues liées à ce virus, et les incertitudes inhérentes aux mesures de confinement imposées (durée, ampleur, conditions de sortie). Pour réaliser cet exercice, l’Insee a dû élaborer des hypothèses pour chaque branche d’activité. Il ressort de ces travaux un chiffre : 65%. L’Insee estime ainsi que l’activité et la consommation des ménages sont à 65 % d’une situation normale. Ce chiffre marque des disparités sectorielles importantes avec un impact important pour l’industrie, certains services marchands (transports, hôtellerie, restauration, loisirs, etc.) et non marchands (crèches, garderies, bibliothèques, activités sportives par exemple). A l’inverse, les activités agricoles dans leur ensemble apparaissent moins affectées à ce stade. On apprend également que les salariés se répartiraient en proportions égales entre une activité sur le lieu habituel de travail, du télétravail et du chômage partiel.

Ce choc d’offre « instantané » de 35 % s’accompagne d’un choc de demande d’ampleur équivalente, avec les mêmes disparités sectorielles : chute de 60% de la consommation de nombreux biens de l’industrie manufacturière, et d’environ 1/3 pour les services marchands et non marchands, avec des baisses pouvant atteindre 55 % pour la restauration, l’hébergement et les transports et un arrêt quasi total pour les travaux de rénovation.

L’impact estimé du confinement sur l’évolution du PIB est donc compris entre 3 à 6 points de PIB, en fonction de sa durée :

Tableau Insee
Source : Insee, Point de conjoncture du 26 mars 2020, Communiqué de presse

 

Cet ordre de grandeur est compatible avec les estimations du département analyse et prévision de l’OFCE publiées le 30 mars 20203OFCE, département analyse et prévision, Évaluation au 30 mars 2020 de l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des mesures de confinement en France, Policy brief 65, 30 mars 2020. La fiche 4 offre en particulier une décomposition des chocs par les canaux de la demande et de l’offre.. A partir d’une étude très complète, l’observatoire estime le coût de chaque mois de confinement à 2,6 points de PIB annuel, ce qui représente environ 60 milliards d’euros. L’OFCE confirme également la concomitance des chocs de demande et d’offre et l’hétérogénéité des impacts sectoriels. Il obtient cependant un impact sur la consommation plus proche de 26 % que de 35 %, en raison de différences méthodologiques.

Le ralentissement touche tous les pays. A titre d’exemple, le conseil des experts économiques allemands anticipe une récession proche de 2,8 % en 2020, avec un rebond de 3,7% en 2021. En fonction de l’ampleur de la crise actuelle, la récession pourrait atteindre 5,4 % en 20204Source: German Council of Economic Experts

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A la recherche d’épisodes comparables dans le passé

La crise actuelle du Covid-19 est soudaine et inédite. Il est donc difficile de trouver des comparables5Pour celles et ceux intéressés par l’histoire des épidémies, nous pouvons mentionner l’initiative de nos collègues du Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique de l’Université, qui lancent une série de vidéos sur le sujet.. L’épidémie de SRAS de 2002-2003 se révèle aujourd’hui d’une ampleur moindre avec environ 800 décès6Source : Institut Pasteur.. Cette différence explique pourquoi nous constatons une recrudescence de mentions à l’épisode de grippe espagnole de 1918-19. Bien entendu, il n’est pas question ici de comparer les deux crises, la grippe espagnole ayant tué entre 2,5 et 5 % de la population mondiale, soit entre 30 et 50 millions de morts7L’article de Patrick Zylberman, publié en 2006, offre une description détaillée de cette crise.

Sergio Correia, Stephan Luck  et Emil Verner, trois chercheurs américains, viennent de publier une étude préliminaire sur les conséquences de la grippe espagnole sur l’économie américaine8Sergio Correia, Stephan Luck, et Emil Vernel. Pandemics Depress the Economy, Public Health Interventions Do Not: Evidence from the 1918 Flu. 2020  SSRN. Une version plus accessible de leurs travaux est disponible sur le blog de la Réserve Fédérale de New York9Sergio Correia, Stephan Luck, et Emil Verner. Fight the Pandemic, Save the Economy: Lessons from the 1918 Flu, Federal Reserve Bank of New York Liberty Street Economics. March 27, 2020. . Parmi la profusion actuelle de travaux sur le sujet, il s’agit d’une étude documentée qui croise plusieurs sources de données, d’où son intérêt. La spécificité de cette étude est triple :

  1.   elle combine différentes données épidémiologiques, économiques et bancaires

  2.   elle repose sur une analyse conduite au niveau local (des Etats et des villes) et non à l’échelle du pays

  3.   elle évalue les impacts de court terme et de moyen terme

Définition : prêt non performant

“De manière générale, on entend par prêt non performant tout prêt dont il est probable que l’établissement ne percevra pas tout ou partie des sommes dues au titre des engagements souscrits par la contrepartie, conformément aux dispositions contractuelles initiales du fait des difficultés financières de cette contrepartie. Une définition harmonisée des actifs non performants a été donnée par l’Autorité bancaire européenne pour des besoins de reporting. Dans ce cadre, sont considérées comme non performantes toutes expositions au risque de crédit présentant des impayés de plus de 90 jours ou qui ne pourront probablement pas être recouvrées sans recours à la réalisation de la garantie, qu’elles présentent ou non des impayés. C’est la définition de référence retenue par la guidance de la BCE.”

Source : La Revue de l’ACPR, numéro 30, novembre-décembre 2016, p.10.

Dans un premier temps, les auteurs ont croisé des données de mortalité liée à la grippe espagnole, à l’activité manufacturière et au secteur bancaire. Ces données sont disponibles pour 30 États et 66 villes. Leurs premiers résultats indiquent, sans surprise, que les zones qui ont connu les épisodes épidémiques les plus importants sont celles qui ont rencontré le plus fort déclin de leur activité économique, à la fois en termes d’amplitude et de durée. La hausse de la mortalité en 1918, par rapport à 1917, a ainsi entraîné une réduction de l’emploi industriel de 23 % et de la production de 18 %. Les actifs bancaires ont dans le même temps diminué de 4 %, en relation avec une hausse des crédits « non performants ». De même, les zones les plus touchées ont connu un ralentissement économique plus marqué, qui a perduré jusqu’en 1923, fin de la période couverte par l’étude.

Ce ralentissement économique traduit à la fois un choc d’offre et un choc de demande. Concernant l’offre, la traduction la plus concrète est la réduction du nombre de travailleurs en situation de production, soit en raison d’un confinement partiel, soit de la fermeture totale de leur usine. Même lorsque ces dernières restent ouvertes, la perturbation des chaînes d’approvisionnement a eu un impact significatif. Les difficultés de trésorerie et l’incertitude sur la situation économique future ont pu également, dans un second temps, conduire à une réduction des investissements engagés lors de la sortie de crise. 

Concernant la demande, cette même incertitude pèse sur les travailleurs via leurs revenus futurs (niveau d’emploi, rémunération, etc.) et les conduisent à réduire leurs achats, notamment en ce qui concerne les investissements durables. De plus, le confinement limite une partie des dépenses habituelles des ménages, notamment en matière de transport et d’interactions sociales (loisirs, etc.). L’étude de Correia, Luck et Verner (2020) mesure ainsi une baisse de la demande de biens durables lors de la sortie de crise plus importante pour les États durement frappés par la pandémie10Cette diminution est mesurée via les achats d’automobiles en 1919 et en 1920. .

Nous retrouvons les mêmes caractéristiques dans la crise actuelle du Covid-19 avec la combinaison de chocs d’offre et de demande11Ce type de résultat est d’ailleurs obtenu par des études théoriques comme celle de Martin S. Eichenbaum, Sergio Rebelo et Mathias Trabandt. The Macroeconomics of Epidemics. 2020. NBER Working Paper No. 26882., 12Sylvain Leduc et Zheng Liu estiment également, pour les États-Unis, que l’incertitude touche à la fois les canaux d’offre et de demande. Un choc temporaire de grande ampleur pourrait conduire à une hausse significative du chômage et une diminution marquée de l’inflation, similaires aux conséquences d’un choc sur la demande agrégée. Sylvain Leduc and Zheng Liu. The Uncertainty Channel of the Coronavirus. FRBSF Economic Letter. n°2020-07. March 30, 2020 . Au-delà du choc initial, l’incertitude sur les revenus actuels et futurs limitent actuellement les dépenses des ménages et font peser un risque significatif sur leur niveau de dépenses futures, notamment pour certains secteurs (effet de rattrapage immédiat ou disparition progressive des craintes liées aux activités à forte densité de population, comme pour de nombreux loisirs ?). De même, le niveau des investissements futurs semble incertain à ce jour, mise à part dans des secteurs comme la santé, dont l’intérêt stratégique apparaît au grand jour.

La combinaison d’un choc d’offre et de demande justifie ainsi la mobilisation de l’ensemble des instruments de politiques économiques disponibles, en matière monétaire et budgétaire. Dans ce contexte, la baisse des taux d’intérêt peut être efficace, comme le mentionnent Leduc et Liu (2020), Sur le plan budgétaire, la mobilisation des amortisseurs sociaux est indispensable. Le recours au chômage partiel est de ce point de vue un des instruments les plus importants. A ce sujet, l’objectif annoncé de la France est de limiter les licenciements économiques pour favoriser la reprise économique en sortie de crise. L’objectif est adapté. Dans la pratique, l’allocation versée par l’État aux salariés en situation d’activité partielle s’établit à 84% du salaire net ou 70% du salaire brut horaire, dans la limite de 4,5 SMIC13Le site du Ministère du travail explique le dispositif mis en place.. D’autres dispositifs de maintien dans l’emploi et d’encouragement de la production sont également adoptés, comme la mise à disposition temporaire de salariés volontaires entre deux entreprises14cf. le site web du Ministère du Travail.

Il restera cependant à vérifier la mise en œuvre de ces mesures. Le risque existe d’observer des disparités sectorielles. De plus, des dispositifs d’accompagnement supplémentaires pourraient être nécessaires pour certaines catégories de travailleurs, comme les indépendants. Ainsi, la CPME alerte que « dans la pratique, de plus en plus d’entreprises sont aujourd’hui confrontées à des refus de chômage partiel au motif que leur secteur n’est pas concerné ou que leur entreprise est en capacité – théorique – de poursuivre son activité »15Communiqué de presse de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Ce message a été relayé au niveau régional avec le « Coup de gueule » d’Olivier Morin, Président de la CPME Pays de la Loire16La vidéo de ce message est disponible en ligne.. La soudaineté de la crise empêche toute conclusion définitive à ce sujet, mais de l’application des arrêtés par les Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi), dépendra en partie la soutenabilité sociale de la crise et l’ampleur du potentiel de reprise.

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Les objectifs sanitaire et économique sont compatibles … à moyen et long terme

L’étude de Correia, Luck et Verner (2020) comporte un deuxième volet, peut être le plus intéressant. Les auteurs étudient les effets sur l’économie des mesures non pharmaceutiques (MNP) adoptées pour ralentir l’épidémie et diminuer la mortalité. La question est ouverte car le mécanisme est double : les mesures de distanciation sociale entraînent dans un premier temps un ralentissement soudain et important de l’économie, voire un arrêt complet de certains secteurs d’activité. A l’inverse, ces mêmes mesures, en limitant l’impact sanitaire de la pandémie, peuvent en atténuer l’effet sur l’économie dans le temps. La question mérite donc d’être posée.

Pour y répondre, les auteurs utilisent des données disponibles pour 43 villes américaines17 Ils utilisent les données de l’étude suivante : Markel, H., H. B. Lipman,  J. A. Navarro, A. Sloan, J. R. Michalsen, A. M. Stern, and M. S. Cetron. Nonpharmaceutical Interventions Implemented by U.S. Cities during the 1918-1919 Influenza Pandemic. Journal of the American Medical Association. 2007. 298, no. 6 (August): 644‑54. . Ils mesurent ainsi deux phénomènes : la rapidité d’adoption des MNP (via le nombre de jours entre l’adoption de ces mesures et celui où le taux de mortalité double par rapport aux données passées) et leur durée dans le temps (via le nombre de jours d’application de ces mesures à l’automne 1918). Nous pouvons d’ailleurs constater que les décisions adoptées à cette époque sont assez similaires à celles retenues aujourd’hui par la plupart des pays occidentaux, c’est-à-dire par des pays qui n’ont pas développé de politiques de prévention suffisamment efficaces suite à la crise du SRAS de 2002-2003 (à la différence de certains pays asiatiques). Il s’agissait alors de fermetures d’école, d’interdictions des regroupements publics, de mesures d’isolement et de quarantaine.

Les résultats obtenus apparaissent significatifs. En résumé, les villes qui ont expérimenté les MNP les plus agressives (précocité d’adoption des mesures et durée d’application) ont connu une reprise économique plus marquée à la sortie de la crise, avec des effets constatés jusqu’en 1923 (la fin de l’étude). Ces effets ont été mesurés en termes d’emploi et de niveau d’activité. Par exemple, l’adoption des MNP avec 8 jours d’avance a pu entraîner, à la sortie de la crise, un taux d’emploi supérieur de 4 % et leur application sur une durée de 46 jours, un taux d’emploi supérieur de 6 %. Ces résultats sont illustrés sur le graphique ci-dessous, qui démontre la relation négative qui existe entre les taux de mortalité et les niveaux d’emploi constatés à la sortie de la crise (1919). Sur le plan bancaire, cette durée des MNP a entraîné une hausse des actifs de 7,5 %.

FRBNY
Source : Sergio Correia, Stephan Luck et Emil Verner, Fight the Pandemic, Save the Economy: Lessons from the 1918 Flu, FRB of New York Liberty Street Economics, March 27, 2020.

 

Ainsi, cette étude scientifique souligne l’importance des mesures sanitaires dans l’atténuation du choc économique à moyen terme, malgré son coût inévitable à court terme. Objectifs sanitaires et performances économiques n’apparaissent pas comme contradictoires à moyen terme.

Correia, Luck et Verner (2020) soulignent également que les villes qui ont vu la pandémie survenir plus tardivement, situées principalement à l’ouest du pays, ont eu le temps de mettre en place les MNP plus précocement, fort de l’expérience des premières agglomérations touchées, essentiellement à l’est. Par analogie, au niveau de l’Union européenne, cette même approche pourra être déployée ex post, pour analyser les différences entre pays. L’avenir nous dira également si ce phénomène « d’apprentissage », ou de temps de préparation accru, sera également constaté entre les régions françaises sur les plans sanitaire et économique. En effet, les mesures de confinement ont été, à l’exception de certains clusters, décrétées simultanément sur l’ensemble du territoire, alors que certaines régions, notamment du centre, de l’ouest et du sud-ouest de la France, semblaient connaître une contamination plus tardive avec un nombre de cas identifiés plus faible.

Une étude scientifique ne fait pas une certitude et Correia, Luck et Verner (2020) adoptent eux-mêmes les précautions d’usage. Leurs travaux comportent plusieurs réserves, malgré les précautions méthodologiques adoptées (variables de contrôle, etc.) :

  • leur échantillon se limite à 30 États et 66 villes

  • les données sur l’activité manufacturière ne sont pas disponibles pour toutes les années

  • la période est marquée par un choc important avec la fin de la première guerre mondiale

  • il apparaît difficile d’extrapoler ces résultats à la période actuelle, les structures économiques étant à bien des égards différentes : poids des services plus important aujourd’hui, possibilités de télétravail accrues avec la révolution des technologies de l’information et des réseaux, mondialisation des économies, structures logistiques différentes, etc.

Des résultats contradictoires ont également été obtenus. Sur le plan théorique, le modèle d’Eichenbaum, Eichenbaum, Rebelo et Trabandt (2020) souligne qu’il existe un arbitrage entre objectifs sanitaire et économique. Dans le même esprit, l’étude de Brainerd et Siegler trouve que les États américains qui ont rencontré des taux de mortalité élevés, ont également connu une hausse du revenu par tête plus importante de 1919 à 192918Brainerd et Siegler, The Economic Effects of the 1918 Influenza Epidemic. February 2003. CEPR Discussion Paper No. 3791.

A l’inverse, Guimbeau, Menon et Musacchio (2020), trois chercheurs brésiliens, obtiennent des résultats similaires à ceux de Correia, Luck et Verner (2020), soulignant l’importance des mesures sanitaires sur l’économie. Ils constatent que les districts de l’État de Sao Paulo les plus durement frappés par la grippe espagnole ont subi les effets les plus négatifs à long terme en matière de développement économique, loin de l’idée de rattrapage19 Guimbeau, Menon et Musacchio, The Brazilian Bombshell? The Long-Term Impact of the 1918 Influenza Pandemic the South American Way. May 1, 2019. Working Paper . Il n’y a donc pas encore de consensus sur cette question mais les dernières études empiriques, qui reposent sur des données proches des bassins de vie des populations, semblent souligner l’importance des MNP sur la santé économique à long terme des pays.

Summing up our findings, the great historical pandemics of the last millennium have typically been associated with subsequent low returns to assets, as far as the limited data allow us to conclude. These responses are huge. Smaller responses are found in real wages, but still statistically significant, and consistent with the baseline neoclassical model.

Jorda, Singh et Taylor (2020)20Jorda, Oscar, Sanjay R. Singh, and Alan M. Taylor. Longer-Run Economic Consequences of Pandemics, Federal Reserve Bank of San Francisco Working Paper 2020-09.

L’importance d’un traitement sanitaire efficace de la crise, dans l’atténuation des conséquences économiques à long terme, est également démontrée par les conclusions des travaux de Jordà, Singh et Taylor (2020)21Jorda, Singh et Taylor.  Longer-Run Economic Consequences of Pandemics, Federal Reserve Bank of San Francisco, Working Paper 2020-09.. Dans cette étude, les auteurs étudient douze épisodes de pandémie majeure ayant tué plus de 100 000 personnes. Les auteurs mesurent des effets négatifs significatifs plus de quarante ans après, avec des rendements du capital plus faibles traduisant de faibles opportunités d’investissement (en raison d’un excès de capital dû à une diminution de l’offre de travail disponible et/ou à une augmentation de l’épargne de précaution).

La comparaison avec des périodes post-conflits armés effectuée par les auteurs révèle également une différence : les guerres entraînent une destruction de capital, qui se traduit par le maintien de taux d’intérêt réels élevés dans la durée. Bien entendu, ce type de travaux sur le dernier millénaire souffre de nombreuses limites, comme la qualité et la disponibilité des données ou les différences d’espérance de vie à travers les siècles. Mais les conclusions de cette étude soulignent l’importance de la qualité de la réponse sanitaire initiale pour réduire les conséquences économiques sur le long terme.

L’extrapolation à la période actuelle de ces épisodes passés, dont l’analyse de la grippe espagnole, est cependant délicate. Nous pouvons tout d’abord rappeler que l’ampleur des deux crises est totalement différente, avec un nombre de victimes, qui plus est parmi les générations les plus jeunes et actives sur le marché du travail, sans commune mesure. De plus, le niveau de protection sociale, bien plus élevé de nos jours (sécurité sociale, minima sociaux, mécanismes de chômage partiel, etc.), devrait amortir en comparaison l’impact économique de cette pandémie. L’absence de couverture santé universelle aux États-Unis sera d’ailleurs un point d’attention si la crise venait à prendre de l’ampleur dans ce pays. La question du coût de cette crise sur les finances publiques des différents États concernés, et sur leur soutenabilité, sera un autre sujet d’attention à moyen terme, secondaire aujourd’hui devant l’urgence sanitaire. Mais cette question sera cruciale pour l’avenir de l’Union Européenne et la pérennité de la zone euro, comme certaines voix de responsables politiques commencent à le faire entendre.

Une autre façon d’aborder la question de l’impact des mesures de confinement est d’adopter une approche coût – bénéfice. Le billet de Xavier Timbeau s’est également intéressé à la question du calcul économique face à une crise sanitaire, en s’appuyant notamment sur le rapport d’Emile Quinet 22Le billet de Xavier Timbeau a été publié le 9 mars, mais j’en ai pris connaissance tardivement, une fois l’essentiel de ce billet écrit. A partir de revues de littérature distinctes, les conclusions convergent, ce qui renforce leur robustesse. L’ajout de ce paragraphe fait suite à la lecture de ce billet.. Au-delà des questions éthiques il ressort que la perte économique serait inférieure aux coûts humains. Bien entendu, ce type de calcul statistique dépend du bilan final de la crise, qu’il est toujours difficile de prévoir ex ante pour un virus nouveau. Le recensement des données quotidiennes exhaustives est déjà une tâche délicate, comme en témoigne la difficulté à comptabiliser l’ensemble des décès liés au Covid-19, en intégrant la mortalité en EHPAD et à domicile23Pour connaître la progression de l’épidémie à travers le monde, il est possible de se reporter au site web de l’Université Johns Hopkins.. D’autant que de nombreux articles de presse du lundi 30 mars reportent que les chiffres en provenance de Chine semblent avoir été sous-évalués24A titre d’exemple, voici trois articles citant la même source chinoise : Le Nouvel Obs, Le Figaro, La Croix..

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Et maintenant ?

A court terme, la comparaison avec les pays asiatiques confrontés à la crise du SRAS de 2002-2003 est instructive (Taïwan, Hong Kong, Singapour, Corée du Sud et Japon notamment). Ces derniers ont élaboré à cette occasion une politique de prévention extrêmement développée, mise en pratique aujourd’hui. Faute de cette expérience, la plupart des pays occidentaux ont privilégié des mesures fortes de distanciation sociale, pour ne pas faire le pari risqué de l’immunité collective. Depuis le changement de doctrine (tardif?) au Royaume-Uni, en ce début du mois d’avril, seuls la Suède et les Pays-Bas sont, en Europe, les pays qui s’orientent vers cette dernière approche. L’avenir nous dira la pertinence de cette stratégie.

Les différences sont nombreuses entre ces pays d’Asie et nos économies occidentales : disponibilité massive de tests de dépistage, d’équipements de protection (masques, gels, etc.), de matériel médical adapté (équipement des hôpitaux, etc.), contrôle technologique des déplacements, culture sanitaire de ces populations face au risque de coronavirus. Ces pays ont, dans la majorité des cas, déployé des mesures plus fines, alternatives à des MNP lourdes comme le confinement généralisé, avec une efficacité sanitaire qui semble supérieure à ce jour. La poursuite de nombreuses activités dans ces pays devrait également contenir le coût économique de cette crise. La Chine semble une exception de ce point de vue, avec la mise en quarantaine de 56 millions de personnes autour de Wuhan. L’émergence de la pandémie dans ce pays peut cependant expliquer en partie cette différence, compliquant la mise en œuvre de mesures préventives efficaces, en raison d’un temps de réaction réduit.

Nous poursuivons nos efforts de préparation à la survenue d’une éventuelle pandémie, grâce à la constitution de stocks de masques et de vaccins. Nous serions, d’après certains observateurs, parmi les pays les mieux préparés au monde.

Xavier Bertrand, 22 janvier 200725Citation extraite de l’article de Claude Le Pen dans le journal Le Monde, 1er avril 2020.

Le temps de l’urgence passé, la préparation de la prochaine crise, ou de la prochaine vague de cette crise, impliquera donc une approche interdisciplinaire pour comprendre, adapter puis diffuser dans nos sociétés européennes, la même culture de prévention face à ce type de virus (par la mobilisation d’épidémiologistes, de sociologues, d’économistes et autres scientifiques, en association avec les différents acteurs de la société : industriels, collectivités, etc.). Il faudra également analyser, d’une part, l’origine de la réduction du dispositif de protection contre les pandémies mis en place en 2007 par la France et, d’autre part, si ce dispositif sur son périmètre initial aurait été une réponse satisfaisante à la crise actuelle26cf. l’article de Claude Le Pen, économiste de la santé, dans Le Monde du 30 mars 2020..

Ainsi, par analogie à la situation de ces pays, parmi les mesures économiques à adopter au-delà du traditionnel policy mix combinant décisions monétaires et budgétaires, un « effort de guerre » massif en faveur de la production des mêmes biens (tests de dépistage, équipements de protection, matériel médical) semble la réponse la plus efficace pour encourager un retour à la normale de l’activité économique, et limiter ainsi le coût financier de cette crise27Parmi les très nombreuses initiatives allant dans ce sens, nous pouvons mentionner, au niveau local, la création du “Fonds d’urgence Covid-19” par la Fondation de l’Université de Nantes, pour la fabrication de respirateurs artificiels réglementaires et de visières de protection.. C’est la voie suivie par de nombreux pays, dont la France. De ce point de vue, la certification rapide de masques par la DGA, pouvant être produits localement et mis à la disposition de la population, semble d’une importance particulière. Il en va de même des tests de dépistage. Il n’en reste pas moins que cet « effort de guerre » pose la question de nos capacités de production nationales face à la désindustrialisation de notre pays ces dernières décennies, y compris dans un secteur comme la santé pour lequel la France possède une expertise certaine.

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Conclusion

Nous pouvons conclure que les mesures sanitaires ont bien un impact sur l’économie à court terme, dont l’ampleur augmente avec l’insuffisance de préparation ou d’anticipation. Lorsque la crise survient, cette insuffisance augmente alors le coût économique des MNP indispensables pour résoudre le problème de santé publique posé. Cette difficulté d’anticipation est amplifiée pour les évènements rares, à occurrences espacées dans le temps, qui impliquent une discipline certaine pour pérenniser, voire pour “sanctuariser”, le dispositif de prévention imaginé des années à l’avance. Cette problématique est d’autant plus importante qu’il ressort également que la croissance de moyen et de long terme dépend de la qualité de la réponse sanitaire de court terme.  

Nous pouvons également constater, pour répondre à la question initiale, que les études scientifiques les plus récentes soulignent l’importance de la qualité de la réponse sanitaire, sur le plan préventif et lors de l’apparition de l’épidémie, pour réduire la mortalité, mais également pour atténuer les conséquences économiques à moyen et long terme. Ce dernier point, même s’il n’est pas la priorité actuelle, n’est pas à négliger car il est susceptible d’entraîner des coûts importants sur le long terme. Ces coûts devront ensuite être inévitablement supportés par les différentes composantes de la société, affectant potentiellement leurs niveaux de vie (entreprises et ménages notamment). Des risques existent également sur les futurs niveaux de rendement du capital.

Cet exercice d’analyse de crises lointaines comporte cependant de nombreuses limites, qui hypothèquent l’extrapolation à nos sociétés d’aujourd’hui aux structures  différentes : espérance de vie plus élevée, part des services plus importante, développement d’internet, essort des marchés financiers, éventail d’instruments de politiques économiques plus important, etc. Néanmoins, même si ce point ne pourra être confirmé qu’après la sortie de crise, il semblerait qu’une politique préventive active et d’ampleur permette d’éviter des mesures brutales comme le confinement généralisé et limite l’impact à la fois sur les populations (avec des taux de mortalité inférieurs) et sur l’économie (en préservant la continuité de l’activité économique). Nous pouvons donc conseiller à Dan Patrick de rester confiné chez lui, à court terme pour sa santé, et à long terme pour le bien-être économique de ses enfants, petits-enfants et de l’Amérique.

L’étude de Correia, Luck et Verner (2020), avec la différenciation des résultats selon les délais de diffusion de l’épidémie aux Etats-Unis, comporte un autre enseignement pour l’Europe. Elle souligne l’importance de la préparation initiale, qui repose en partie sur l’observation des mesures prises dans les premières zones touchées. Cet apprentissage, rendu possible pour les pays touchés plus tardivement, est un argument supplémentaire en  faveur de transferts significatifs de l’Union européenne, voire de la zone euro uniquement, vers l’Italie et l’Espagne (via un soutien budgétaire et financier). Mais il s’agit là d’un autre débat qui ressurgira inévitablement, une fois l’urgence sanitaire passée.

 

Bibliographie

Articles scientifiques

Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. 2016. Prêts non performants : point sur les travaux en cours, La Revue de l’ACPR. numéro 30. novembre-décembre 2016.

Brainerd, E. et M. V. Siegler. 2003. The Economic Effects of the 1918 Influenza Epidemic. CEPR Discussion Paper. No. 3791.

Correia,  S.,  S. Luck, et E. Vernel. 2020. Fight the Pandemic, Save the Economy: Lessons from the 1918 Flu. Federal Reserve Bank of New York Liberty Street Economics. March 27, 2020.

Correia,  S.,  S. Luck, et E. Vernel. 2020. Pandemics Depress the Economy, Public Health Interventions Do Not: Evidence from the 1918 Flu. 2020. SSRN Working Paper.

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German Council of Economic Experts. 2020. The Economic Outlook in the Coronavirus pandemic. Special Report 2020.

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L’Obs. 2020. En Chine, de sérieux doutes sur le nombre officiel de morts du coronavirus. L’Obs. 30 mars.

Le Figaro. 2020. Coronavirus : à Wuhan, ces urnes funéraires qui font douter du nombre officiel de décès. Le Figaro. 30 mars.

Le Pen, C. 2020. Coronavirus : « En 2007, la France avait su mettre au point un dispositif de protection très ambitieux contre des pandémies ». Le Monde. 30 mars.

Malovic, D. 2020. Coronavirus, la Chine aurait minimisé le nombre de morts à Wuhan. La Croix. 30 mars.

 

Sites web

Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). 2020. Soutien aux PME : attention au décalage entre les discours et la réalité. Communiqué de presse. site web

Fondation de l’Université de Nantes. 2020. Fonds d’urgence Covid-19. site web

Institut Pasteur. 2012. Fiches maladies. SRAS. site web

Johns Hopkins University. 2020.  Coronavirus COVID-19 Global Cases by the Center for Systems Science and Engineering (CSSE). site web

Ministère du Travail. 2020. Activité partielle – chômage partiel. Dispositif exceptionnel d’activité partielle. site web

Ministère du Travail. 2020. COVID-19 | Mise à disposition temporaire de salariés volontaires entre deux entreprises. site web

 

Vidéos
youtube Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique de l’Université de Nantes (CRHIA). 2020.  Série de vidéos « Épidémies ».

 youtube Morin, O. 2020. « Coup de gueule ». CPME Pays de la loire.

 

Ce billet peut être complété par la lecture suivante :

Analyse de la situation particulière dans laquelle Christine Lagarde et la BCE ont abordé la pandémie de Covid-19.

 

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