Ce billet peut être précédé par la lecture ci-dessous :
Présentation des missions de la BCE suivie d’une comparaison avec la Réserve Fédérale américaine et la Banque d’Angleterre.
Contenu
Je vois très bien où vous voulez m’amener ! Mais une fois pour toutes, je ne suis ni colombe, ni faucon et mon ambition est d’être cette chouette qui est souvent associée à un peu de sagesse.
Christine Lagarde, Présidente de la BCE1Extrait de la conférence de presse de Christine Lagarde du 12 décembre 2019. Version originale : “I see exactly where you’re trying to get me! But once and for all, I’m neither dove nor hawk and my ambition is to be this owl that is often associated with a little bit of wisdom”. Christine Lagarde avait déjà employé cette référence à la chouette, notamment lors d’une interview à Die Zeit début novembre 2019.
Faucons, colombes et politique monétaire: une explication
Comme nous l’avons vu dans le billet Les missions de politique monétaire de l’Eurosystème, les banques centrales doivent souvent atteindre plusieurs objectifs. Dès lors, se pose la question des inclinaisons qu’elles peuvent avoir à prioriser certaines d’entre elles. L’interrogation est d’autant plus légitime pour la Réserve Fédérale américaine qui suit un mandat dual où les objectifs de cible d’inflation à 2% et de maximisation de l’emploi ont une importance équivalente.
L’analyse de ces courants est connue sous la terminologie “Dove-Hawk” ou “colombes – faucons”2Cette terminologie, utilisée de longue date aux États-Unis, servit notamment lors de la guerre du Vietnam pour distinguer les militants pro- et anti-guerre.. Les colombes sont les dirigeants dont l’attention se porte en priorité sur les objectifs de production, de croissance économique et d’emploi, quitte à tolérer un niveau d’inflation plus élevé. Les faucons, au contraire, sont les tenants d’une orthodoxie monétaire privilégiant la stabilité de la valeur de la monnaie. Ces derniers sont partisans de hausses de taux d’intérêt plus précoces, fréquentes ou d’une ampleur plus importante, quitte à provoquer un ralentissement de l’économie, et donc de l’emploi, plus marqué. Bien entendu, pour un même gouverneur, ces préférences ont parfois évolué dans le temps et certains d’entre eux adoptent une approche plus “centriste”, avec des positions qui alternent régulièrement. Ces derniers sont souvent présentés sous la terminologie anglaise de “swingers”, de “centrists” et parfois de “pigeons”.
Le Système de Réserve fédéral américain est organisé autour de trois entités : un Conseil des gouverneurs qui représente “le centre” du système et qui siège à Washington, 12 banques fédérales régionales qui ont été créées avec le système en 1913, sur la base de considérations économiques et qui ne représentent pas obligatoirement la frontière des États (les 12 Federal Reserve Banks), et un Comité de politique monétaire, le FOMC (Federal Open Market Committee), qui adopte les décisions de politique monétaire3Une présentation détaillée de cette organisation est disponible dans ce document (pdf) de la Fed.. Ce Comité est composé des 7 membres du Conseil des gouverneurs, du gouverneur de la Réserve Fédérale de New-York et de quatre des onze autres Gouverneurs des Réserves Fédérales américaines4Une présentation détaillée du FOMC est disponible sur cette page web de la Fed.. La rotation de ces derniers s’effectue sur une base annuelle.
Les 7 membres du Conseil des gouverneurs sont élus pour un mandat de 14 années non renouvelables, sur désignation du Président des États-Unis, après validation par le Congrès (au rythme d’une nomination tous les deux ans, au 1er février des années paires)5Il faut noter que le calendrier des mandats s’impose à celui des nominations : tous les mandats prennent fin à la date prévue par la loi et un membre qui aurait été nommé en cours de mandat peut être désigné de nouveau. Ainsi, seul un membre qui a réalisé un mandat complet ne peut être désigné qu’une nouvelle fois.. Les Président et Vice-Président sont désignés parmi ces 7 membres pour une durée de quatre années. Ainsi, ces nominations, combinées à la rotation annuelle des droits de vote des Présidents des banques fédérales régionales américaines, sont susceptibles de modifier les équilibres du FOMC. Les profils des membres de ce comité sont dès lors scrutés avec attention par les marchés et par de nombreux chercheurs.
Parmi les travaux académiques, nous pouvons mentionner ceux de Istrefi (2018) et Bordo et Istrefi (2018). Le billet n°67 du Bloc-note Eco et le Bulletin de juillet-août 2019 de la Banque de France offrent également des présentations en français de ces travaux. Sur la base d’une analyse narrative à la Romer et Romer (2004), Klodiana Istrefi a élaboré une mesure faucon-colombe de 130 membres du FOMC sur la période 1960-2015. Ce travail considérable a été conduit à partir d’une lecture humaine de 20 000 articles et rapports de plus de 30 journaux américains6Cela signifie que cette classification n’a pas été établie via le recours à un logiciel détectant des mots clés comme “hausse des taux” ou “chômage” par exemple.. Elle identifie ainsi que 39% des membres sont des faucons, 30% des colombes et 24% des swingers7Le solde correspondant aux membres dont les préférences n’ont pas pu être identifiées..
Bordo et Istrefi (2018) ont prolongé ce travail par une analyse des causes à l’origine de ces différences. Ils révèlent ainsi que l’idéologie et les évènements historiques vécus avant leur prise de fonction ont joué un rôle dans les préférences des membres du FOMC. De plus, ils remarquent qu’une modification du ratio faucon-colombe a eu un impact important dans le passé sur la vraisemblance des durcissements ou des assouplissements des décisions de politique monétaire. Ils nuancent également leurs résultats en notant que nous assistons à une certaine convergence depuis la fin des années 80, notamment en ce qui concerne les universités d’origine des 130 membres du FOMC.
Malgré cette convergence en fin de période, quelques tendances sont identifiées par les auteurs. Ainsi, un diplômé d’une université de tradition monétariste (membre du “freshwater group”) a une probabilité plus élevée d’être un faucon, tandis qu’un diplômé d’une université de tradition keynésienne (membre du “saltwater group”), est plus souvent une colombe. Cette polarisation semble d’autant plus importante pour les membres titulaires d’un doctorat en économie8Selon Bordo et Istrefi (2018), en relation avec la classification opérée par Hall (1976), le groupe des universités dites “freshwater” regroupe notamment Chicago, Carnegie Mellon, UCLA et Johns Hopkins ; le groupe des universités dites “saltwater” regroupe notamment Harvard, Yale, le MIT, et Berkeley..
Les Présidents démocrates ont le plus souvent nommé des colombes alors que la répartition est équilibrée pour les Présidents républicains. La probabilité d’être un faucon augmente pour les membres qui sont nés durant une période d’inflation élevée, alors qu’elle est plus d’être une colombe pour les membres nés durant une période de chômage élevé, comme pour la crise de 1929. Enfin, Bordo et Istrefi (2018) remarquent que certaines constantes existent au sein des Réserves fédérales régionales américaines, avec Cleveland, Saint-Louis, Dallas et New-York qui ont élu des Présidents majoritairement faucons, Philadelphie et San Francisco principalement colombes et Atlanta et Kansas City majoritairement “swingers”. Cette distinction colombe – faucon n’est pas neutre et, dans une autre étude, Kahn et Oksol (2018) montrent que, pour la période 2009-2012, les faucons ont eu tendance à formuler des anticipations d’inflation supérieures à la médiane et qu’ils ont perçu un arbitrage plus marqué entre inflation et chômage à un horizon d’une année.
Le graphique ci-dessous illustre l’évolution du ratio faucon-colombe construit par Istrefi (2018). Depuis la crise financière de 2008, il fait apparaître un glissement significatif et inédit, par son ampleur et sa durée, vers un comité dominé par les colombes. Nous pouvons également remarquer l’évolution de ce ratio au cours du mandat d’Alan Greenspan. Contrairement à la première partie de son mandat, le début du siècle a été marqué par un épisode de domination des colombes, avant un dernier revirement au profit des faucons, quelques temps avant le déclenchement de la crise financière.
Ainsi, dès la nomination de Jerome Powell, la question de son appartenance au camp des faucons ou des colombes s’est posée et les premières analyses furent partagées9Nous pouvons nous référer notamment à l’article de presse de Schneider et Dunsmuir (2018).. Cependant, “l’inclinaison colombe” du FOMC ne s’est a priori pas interrompue depuis 2015, la dernière année couverte par l’étude de Bordo et Istrefi (2018).
Faucons et colombes sont désormais rejoints par une chouette
La question du clivage entre faucons et colombes pourrait apparaître moins sensible pour la BCE pour au moins deux raisons. Tout d’abord, et comme nous l’avons vu, les traités ont établi sans aucune ambiguïté la stabilité des prix comme objectif principal du SEBC. Dans ce contexte, tout arbitrage qui favoriserait un objectif de croissance économique ou d’emploi, au détriment d’une maîtrise de l’inflation à moyen terme, semble impossible. Mais il peut exister des degrés d’orthodoxie variables dans l’application du mandat principal de stabilité des prix et dans le soutien aux politiques de l’Union européenne.
Deuxièmement, le processus décisionnaire de la BCE apparaît préserver plus naturellement la diversité des positions et des équilibres au sein de la zone euro. Le SEBC est organisé autour de trois organes : le directoire, le Conseil des gouverneurs et le Conseil général. Le Conseil des gouverneurs est l’instance principale de décision en matière de politique monétaire. Il est composé des 6 membres du directoire et des 19 Gouverneurs des banques centrales des pays membres de la zone euro. Depuis l’adhésion de la Lituanie en 2015 comme dix-neuvième membre, un système de rotation des droits de vote a été mis en place afin “de conserver sa capacité décisionnelle malgré l’augmentation progressive du nombre de pays participant à la zone euro” et de préserver un équilibre entre les 6 membres du directoire, qui incarnent le “centre” de l’Eurosystème et les Gouverneurs de chaque banque centrale nationale, qui incarnent la “périphérie” de la zone euro (ces derniers se partagent 15 droits de vote). En pratique, le partage des droits de vote s’effectue sur la base d’une rotation mensuelle, ce qui apparaît moins excluant qu’aux États-Unis où certaines banques fédérales régionales ne votent qu’une année sur trois10La répartition des droits de vote mensuels pour les années 2020 et 2021 est disponible sur cette page web de la BCE..
Quoi qu’il en soit, la question a tout de même fait l’objet de quelques études et nous pouvons mentionner les travaux de Tobback, Nardelli et Martens (2017). Ces auteurs ont développé un indice de la perception des médias de la communication officielle de la BCE, suite à l’annonce des décisions de politique monétaire. Ils ont ainsi étudié 9000 articles de presse entre janvier 1999 et mars 2016. Tobback, Nardelli et Martens (2017) montrent, via le recours à des logiciels d’analyse sémantique, que l’utilisation d’un modèle d’apprentissage supervisé, à savoir les machines à vecteurs de support, ou SVM en anglais, permet une modélisation correcte des inclinaisons de la BCE, et notamment du caractère plus accommodant de la politique monétaire conduite en fin de période.
Sur une base plus journalistique, un exercice de classification des 25 membres du Conseil des gouverneurs avait également été conduit en 2015 par le site web Business Insider. Il apparaît dans cet article que le directoire de l’époque est majoritairement composé de membres assimilés à des colombes, avec Mario Draghi, Vitor Constancio, Peter Praet et Benoît Cœuré. Les deux autres membres du directoire sont identifiés à des faucons : Sabine Lautenschlage et Yves Mersch. Concernant les Gouverneurs ou Présidents des banques centrales nationales, le club des faucons est emmené par Jens Weidmann, qui dirige la Bundesbank, et regroupe des pays comme les Pays-Bas, la Finlande et les pays baltes notamment. Le club des colombes regroupe quant à lui des banques centrales dont les pays connaissent des taux d’endettement public élevés : Italie, Espagne, Belgique. Enfin, de nombreux Gouverneurs sont assimilés à des centristes, en premier lieu desquels Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France à cette époque, (en compagnie de l’Autriche, du Portugal, de l’Irlande, de la Grèce et du Luxembourg notamment). Bien entendu, il faut noter que cette catégorisation est subjective, ne prévaut qu’à un date donnée et a parfois été remise en cause par les Gouverneurs concernés, qui n’apprécient pas toujours cet exercice d’étiquetage.
La nomination de Christine Lagarde à la Présidence de la BCE n’a donc pas échappé à la règle, d’autant que son profil révèle quelques similitudes avec celui de Jerome Powell : une formation d’origine d’avocate et un parcours comme Ministre de l’Économie et des Finances sous la Présidence de Nicolas Sarkozy. Christine Lagarde possède toutefois une expérience internationale plus marquée suite à sa Direction du FMI de 2011 à 201911Le parcours de Christine Lagarde est présenté sur le site web de la BCE.. Ainsi, dès sa première conférence de presse officielle à la BCE, le sujet fut abordé et Christine Lagarde a confirmé qu’elle ne voulait pas se laisser enfermer dans l’habituelle grille de lecture des banquiers centraux par les analystes spécialisés : “Chaque président a son propre style. Je sais que vous avez envie de comparer, mais j’aurai mon propre style et il sera probablement différent”12Extrait de la conférence de presse de Christine Lagarde du 12 décembre 2019. Version originale : “Before the questions I’m going to take just a couple of minutes of your time to tell you a few things. One is, each and every President has his or her own style of communicating. I know some of you are keen to compare and rate or rank. I will have my own style. As I’ve said before, don’t over-interpret, don’t second-guess, don’t cross-reference. I’m going to be myself and therefore probably different.”.
Afin de faire comprendre cette différence, Christine Lagarde choisit la référence à la chouette. Dans la mythologie grecque, la chouette est le symbole d’Athena, déesse de la sagesse. Si l’on se réfère par exemple à l’ouvrage de Félix Guirand et Joël Schmidt (1996), sur les mythes et la mythologie, le choix semble particulièrement opportun :
Ses attributions étaient multiples ; elles se rattachaient aux deux grands aspects sous lesquels Athena était vénérée, soit comme déesse guerrière, soit comme déesse des arts de la paix et de l’intelligence avisée.
A l’Athéna guerrière – la plus ancienne – se rapportent les épithètes de Promachos (qui combat en premier rang), d’Alalcoménè (qui repousse l’ennemi). La déesse était protectrice des villes et la gardienne des acropoles.
L’Athéna pacifique protégeait les diverses industries. Elle était par excellence l’Ergané (l’ouvrière) et était la patronne des architectes, des ciseleurs aussi bien que des fileuses et des tisseuses (…). Sa sagesse, qui lui valait l’épithète de Pronoia (la Prévoyante), faisait d’elle la déesse conseillère (Boulaia) et la déesse de l’Assemblée (Agoraia).
F. Guirand et J. Schmidt (1996), Mythes et mythologie, p. 140
Avec cette référence à la chouette, Christine Lagarde s’extrait dès le départ de cette catégorisation entre faucons et colombes et se place au-dessus de chaque “camps”. Elle se définit ainsi comme une Présidente, à la recherche de décisions permettant l’adhésion de toutes les sensibilités du Conseil des gouverneurs, aidée en cela par son sens reconnu de la diplomatie. Cette approche consensuelle se justifie également par les tensions croissantes apparues à la fin du mandat de Mario Draghi, dont la politique a été jugée trop accommodante et orientée vers les “pays du sud” par les faucons. Ces oppositions ont culminé lors du Conseil des gouverneurs du 12 septembre 2019, qui a entériné un nouveau plan d’assouplissement monétaire, contre l’avis d’une partie de ses membres13L’opposition semble avoir été de l’ordre d’un tiers des membres du Conseil des gouverneurs d’après certaines sources journalistiques.. Cette approche est illustrée par la suite de la citation présente en introduction de ce billet, et largement relayée dans les médias. Christine Lagarde indique qu’elle cherchera à tirer parti du meilleur des membres du Conseil des gouverneurs, pour forger des décisions les plus consensuelles possibles :
Je vais certainement essayer de tirer le meilleur parti possible des membres de mon Conseil des gouverneurs pour parvenir à des décisions de politique monétaire et à l’utilisation d’instruments qui seront aussi consensuels que possible. Je ne prétends pas que nous parviendrons à un accord complet sur tout, et je suis sûr que l’examen stratégique, en particulier dans notre définition des objectifs à moyen terme et de la façon dont nous y parviendrons, sera une source de grands débats entre nous. Mais je suis également d’avis qu’une fois que quelque chose a fait l’objet d’un débat approfondi, honnête et de bonne foi, certaines décisions finissent par être prises. Ce sont les décisions de la banque centrale. Je n’ai pas un point de vue différent à cet égard.
Christine Lagarde, 12 décembre 201914Extrait de la conférence de presse de Christine Lagarde du 12 décembre 2019. Version originale : “I’m not full of vanity but I will certainly try to bring the best out of the members of my Governing Council in order to arrive at monetary policy decisions and use of instruments that will be as consensual as possible. I am not suggesting that we will arrive at complete agreement on everything, and I’m sure that the strategic review, particularly in our definition of the medium-term objectives and how we go about it, will be a source of great debate amongst ourselves. But I’m also of the view that once something has been debated at length and in depth and in honesty and with good faith, then some decisions eventually stand. They are the decisions of the central bank. I don’t have a different view from that perspective.”
Ce discours correspond au portrait dressé par le Wall Street Journal à l’été 2019. Jörg Asmussen, adjoint de Wolfgang Schäuble pendant la crise de la zone euro, déclare ainsi
Elle n’est peut être pas une économiste monétaire,
mais elle est une diplomate monétaire.
Jörg Asmussen, 18 juillet 201915Citation extraite de l’article du Wall Street Journal. Version originale : ““She may not be a monetary economist, but she is a monetary diplomat”
Un discours qui s’inscrit dans la continuité des dernières années de son prédécesseur …
Un optimisme prudent régnait fin 2019 et au début de cette année sur le plan macroéconomique au niveau de la zone euro. Le scénario d’une normalisation lente mais durable se dessinait, dans un environnement marqué par une faible croissance (“une certaine stabilisation du ralentissement de la croissance économique”16cf. la conférence de presse de la BCE du 12 décembre 2019.) et dans lequel la politique monétaire conservait un biais très accommodant. Ainsi, dans ses projections macroéconomiques de décembre 2019, la BCE anticipait une croissance de 1,1% en 2020 avant d’atteindre 1,4 en 20121 et 2022. L’inflation, mesurée par l’IPCH17L’ABC de l’économie de septembre 2019, intitulé « Inflation et déflation » offre une excellente présentation de ces concepts et de l’IPCH., devait suivre la même trajectoire pour atteindre 1,6% en 2022.
Dans ces conditions, un relatif répit s’offrait aux dirigeants de la BCE et la période apparaissait propice à la conduite de réflexions plus stratégiques de moyen et de long terme. Lors de cette période qui précède la pandémie de Covid-19, les interventions de Christine Lagarde se concentrent sur plusieurs sujets. Une partie de son discours reprend les attributs de la fonction et elle s’engage fermement au respect du mandat de la BCE et d’un objectif d’inflation “inférieur mais proche de 2%”. Elle souligne ainsi que le contexte durable de faibles niveaux d’inflation conduira la politique monétaire à rester encore accommodante sur une longue période. Sa volonté d’opter pour une approche équilibrée s’illustre à cette occasion par les nombreuses mentions à la nécessité d’étudier les conséquences indésirables de la politique monétaire non conventionnelle (cf. les mentions répétées aux effets collatéraux, les “side effects” en anglais, comme la hausse de l’endettement, la hausse des prix de l’immobilier ou la diminution du rendement du capital des épargnants). C’est autant de gages donnés aux faucons, face à la poursuite du biais accommodant de la politique monétaire.
Christine Lagarde reprend également le message de son prédécesseur sur la deuxième partie de son mandat, concernant la nécessité d’un rééquilibrage du policy mix de la zone euro. Sur ce point le discours des autorités monétaires a changé depuis 2014, pour passer d’une position centrée principalement sur la responsabilité budgétaire individuelle des États (pour répondre au problème d’aléa moral des politiques fiscales) à une vision élargie soulignant en parallèle la nécessité d’une approche budgétaire intégrée au niveau européen. En effet, les différentes crises rencontrées depuis 2008 ont été surmontées en bonne partie grâce à des interventions massives de la BCE. Le message est clair : les interventions de la BCE ont désormais besoin d’être épaulées d’un volet budgétaire accru à l’échelle de la zone euro. Christine Lagarde est ainsi une Présidente de l’institution monétaire européenne qui parle beaucoup de politique budgétaire. Bien entendu, son parcours personnel légitime ses interventions et sa direction du FMI de 2011 à 2019 en a fait une des interlocutrices principales lors des crises récentes18Cet article du Wall Street Journal analyse le bilan de son mandat à la tête de l’institution, soulignant un sens aigu de la négociation, et revenant sur quelques décisions controversées comme lors du renflouement de Chypre en 2013. Le FMI présente ses missions sur son site web.. Ainsi, lors de son audition devant la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, Christine Lagarde consacre une partie de sa déclaration d’ouverture à la politique budgétaire et insiste sur la nécessité de ne pas se reposer uniquement sur la politique monétaire pour traverser les crises économiques (“to avoid overburdening monetary policy”). Elle revient sur ce sujet à plusieurs reprises, dont un discours le 22 novembre 2019 sur le futur de l’économie de la zone euro. Nous reprenons à titre d’illustration un extrait de son audition devant le Parlement européen :
Un autre domaine est celui des politiques budgétaires, qui doivent être disponibles pour stabiliser nos économies lors des ralentissements économiques et éviter de surcharger la politique monétaire.
D’après mon expérience de Ministre des Finances, j’ai été témoin des difficultés de coordination des politiques budgétaires, qui sont intrinsèquement centrées sur les questions nationales et non sur la perspective de la zone euro. C’est pourquoi je suis convaincu que nous avons besoin à la fois de règles efficaces et simplifiées et d’un instrument budgétaire significatif au niveau de la zone euro. En d’autres termes, nous devons institutionnaliser davantage la coopération plutôt que de croire qu’elle émergera en temps de crise.
À court terme, conclure la réforme du Mécanisme Européen de Stabilité, rendre opérationnel le filet de sécurité («backstop») du Fonds de résolution unique et mettre en place un instrument budgétaire évolutif pour la compétitivité et la convergence seraient des avancées utiles.
Christine Lagarde, 4 septembre 201919Extrait de la déclaration introductive de Christine Lagarde devant le Parlement européen du 4 septembre 2019. Version originale : “Another area is fiscal policies, which need to be available to stabilise our economies through downturns and avoid overburdening monetary policy. In my experience as Finance Minister, I have witnessed the difficulties incoordinating fiscalpolicies, which are inherently focused on national issues and not the euro area perspective. That is why I am convinced that we need both effective and simplified rules and a meaningful euro area fiscal instrument as a complement. In other words, we need to further institutionalise cooperation rather than trust it will emerge in crisis times.In the short term, concluding the reform of the European Stability Mechanism, operationalising the backstop to the Single Resolution Fund and establishing a scalable Budgetary Instrument for Competitiveness and Convergence would be useful steps forward.”
Christine Lagarde, comme tout responsable d’institution européenne, milite également pour la poursuite de l’intégration européenne sur deux points essentiels pour la BCE : la finalisation de l’union bancaire européenne et l’unification des marchés de capitaux. Ces deux réformes renforceraient ainsi la résilience de la zone euro face aux crises, en contribuant par exemple à l’amélioration de la stabilité bancaire et financière et au partage des risques du secteur privé, soulageant la politique monétaire. Là encore, Christine Lagarde s’inscrit dans les propos de son prédécesseur, qui a déclaré lors de son discours de départ :
En d’autres termes, les Etats-Unis avaient à la fois une union des marchés des capitaux et une politique budgétaire contra-cyclique. La zone euro n’avait pas d’union des marchés des capitaux et une politique budgétaire pro-cyclique.
Mario Draghi, 28 octobre 201920Extrait du discours de départ à Francfort : “In other words, the US has had both a capital markets union and a counter-cyclical fiscal policy. The euro area had no capital markets union and a pro-cyclical fiscal policy.”
… mais avec des inflexions notables
Bien que Christine Lagarde recommande de ne pas sur-interpréter ses propos, nous pouvons constater quelques différences majeures dans son discours. Ces différences se retrouvent le plus souvent associées au processus “d’évaluation de sa stratégie de politique monétaire”, que la BCE a initié début 2020. Christine Lagarde commence par relativiser ce type de revue stratégique en mentionnant qu’elle n’a rien d’exceptionnelle. Ce processus est actuellement à l’œuvre au sein de la Réserve fédérale américaine et la Banque du Canada le conduit tous les cinq ans. Or la dernière évaluation remontait à 2003 pour la BCE21Nous pouvons nous référer à l’article Les missions de politique monétaire de l’Eurosystème à ce sujet..
Mais cette revue stratégique intervient à une période particulière. D’un point de vue macroéconomique, la zone euro évolue désormais dans un environnement marqué par une croissance et une inflation faibles, ainsi que par des taux d’intérêt proches de zéro. La question de la lutte contre les pressions déflationnistes, tout comme celle des instruments à disposition pour faire face à de nouveaux chocs économiques, nécessitent ainsi une approche profondément revisitée par rapport à la “simple” révision de 2003.
Ce processus d’évaluation stratégique intervient également en parallèle aux débuts de la Commission von der Leyen, qui a fait de la lutte contre le changement climatique sa première priorité. Enfin, le directoire de la BCE est presque intégralement remanié suite au renouvellement prévisible de quatre de ses membres depuis le 1er juin 2018 et à la démission surprise de Sabine Lautenschläger, dont le mandat a pris fin le 31 octobre 201922Il est possible de consulter les articles suivants au sujet de cette démission : L’Echo, La Tribune.. Seul Yves Mersch, dont le mandat s’achève le 14 décembre 2020, est dans la deuxième partie de son mandat. Ce qui signifie qu’avec le report de la fin du processus d’évaluation stratégique à 2021, en raison de la crise du Covid-19, ce dernier s’achèvera avec six membres du directoire dont la plupart seront dans le premier quart de leur mandat23La présentation des mandats des membres du directoire de la BCE est disponible sur cette page web.. Si l’on croit à l’influence des personnalités sur l’exercice de la politique monétaire, ce renouvellement, inégalé depuis la mise en place de l’euro en 1999, donne l’occasion à la BCE d’une évolution stratégique beaucoup plus significative que les ajustements constatés en 2003.
Dans ce contexte, Christine Lagarde met l’accent sur trois dimensions plus spécifiques par rapport à ses prédécesseurs. Tout d’abord, elle insiste à de nombreuses reprises sur la nécessité d’intégrer la lutte contre le changement climatique dans la stratégie de la BCE. Elle est d’ailleurs intervenue à Londres le 27 février 2020 lors du lancement de la COP26 Private Finance Agenda par la Banque d’Angleterre et la Banque d’Italie, pour expliquer que ce sujet sera une partie intégrante de la réflexion stratégique entamée par la BCE (cette conférence était destinée à mobiliser les fonds privés pour la transition vers une économie neutre climatiquement). Ce sujet revient à plusieurs reprises. Lors de son audition devant la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, elle mentionne le réseau Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System (NGFS), lancé à l’occasion du sommet One Planet à Paris en décembre 2017, dont le secrétariat est hébergé à la Banque de France. Lors d’un discours à Paris en février 2020, Christine Lagarde mentionne également cet aspect en prenant le soin d’expliquer que ce n’est pas une “dérive” (“mission creep”) dans les missions de la BCE mais que le réchauffement climatique a également des conséquences sur la stabilité des prix. Nous reprenons une partie de son discours :
Nous entrons dans une ère où le risque climatique jouera un rôle beaucoup plus central dans les politiques publiques, que ce soit par la réglementation, la fiscalité ou l’orientation des dépenses publiques. Nous le voyons déjà dans les plans pour un Green Deal européen, et plusieurs gouvernements nationaux ont récemment adopté d’importants programmes d’investissement vert. Dans ce contexte, les changements climatiques constitueront un élément clé de notre examen de la stratégie en cours. Même si nous n’en sommes encore qu’aux premières étapes de ce processus, je vois deux grands domaines où nous pouvons aller de l’avant.
Le premier consiste à combler le déficit de connaissances.Nous devons approfondir nos connaissances sur les effets macroéconomiques des changements climatiques, en particulier dans des domaines clés comme l’inflation, la productivité et le commerce. Une étude récente a révélé que, sur les 77 000 articles publiés dans les meilleures revues économiques, moins de 60 ont porté sur le changement climatique24cf. l’article de Oswald et Stern (2019).. La BCE s’efforcera donc également d’approfondir son analyse et sa modélisation dans ce domaine. Ce que nous savons jusqu’à maintenant laisse entendre que les changements climatiques auront une incidence sur la politique monétaire. Par exemple, la recherche sur les catastrophes naturelles suggère que les événements climatiques pourraient rendre l’inflation plus volatile, surtout à court terme25cf. l’article de Parker (2018). Et au fil du temps, des stratégies d’atténuation comme les taxes sur le carbone pourraient avoir des effets significatifs et persistants sur les prix relatifs. En d’autres termes, intégrer le changement climatique de manière plus fondamentale dans notre analyse et notre stratégie n’est pas une “dérive dans les missions” : le changement climatique est aussi un risque pour la stabilité des prix.Le deuxième domaine dans lequel nous pouvons déjà progresser est celui d’une prise en compte adéquate des risques climatiques.Nous sommes de plus en plus conscients aujourd’hui que les banques et les institutions financières sont exposées à des risques climatiques matériels. Il s’agit notamment des risques physiques liés aux catastrophes naturelles et aux changements climatiques, et des risques liés à une transition climatique désordonnée.(…)À la BCE, nous ferons également notre part – et nous commençons déjà à promouvoir la divulgation des risques climatiques dans l’ensemble de nos tâches. Par exemple, nous examinons les normes de divulgation dont nous aurons besoin pour intégrer les questions climatiques dans l’évaluation des risques liés à notre collatéral. Le personnel de la BCE a également commencé à travailler sur un cadre complet de tests de résistance aux risques climatiques, qui devrait être prêt d’ici la fin de l’année. Et nos superviseurs bancaires évaluent la divulgation des risques climatiques par les banques et examinent comment ces risques devraient être intégrés dans le processus de surveillance.Christine Lagarde, 5 février 202026Extrait du discours de Christine Lagarde à Paris, lors de la remise du Grand Prix de l’Economie 2019 Les Echos, le 5 février 2020. Version originale : “Climate change The second big ambition reshaping the landscape for business is the mission to fight the consequences of climate change. We are entering an era where climate risk will play a much more central role in public policies, be it via regulation, taxation or the focus of public spending. We are already seeing this in the plans for a European Green Deal, and several national governments have recently adopted large green investment packages. In keeping with this, climate change will be a key part of our ongoing strategy review. Though we’re still in the early phases of this process, I see two broad areas where we can move forward. The first is filling the knowledge gap. We need to extend our knowledge about the macroeconomic effects of climate change, in particular in key areas like inflation, productivity and trade. A recent study found that, out of approximately 77,000 articles published in top economics journals, less than 60 have been on climate change.[7] So the ECB will also strive to deepen its analysis and its modelling in this field. What we do know so far suggests that climate change will affect monetary policy. For instance, research on natural disasters suggests that climatic events could make inflation more volatile, especially in the short run.[8] And over time, mitigation strategies such as carbon taxes could have significant and persistent effects on relative prices. In other words, bringing climate change more fundamentally into our analysis and strategy is not “mission creep”: climate change is also a price stability risk. The second area where we can already make progress is on properly reflecting climate risks. There’s a growing awareness today that banks and financial institutions are exposed to material climate risks. These include physical risks from natural disasters and climate change, and they include risks from a disorderly climate transition. These risks are not distinct, because rising physical risks make a disorderly transition more likely – a combination Mark Carney has termed “the tragedy of the horizon”.[9] So it’s crucial that both the public and the private sector take these risks into account more systematically, for instance by setting higher standards for climate risk disclosure. We’re already seeing progress in the private sector, especially among large investors, and France is leading the way at the country level.[10] The Commission’s Green Deal agenda sees European standards on disclosure being tabled in the course of 2020. At the ECB, we will also do our part – and we are already starting to promote climate risk disclosure across our range of tasks. For example, we’re examining the disclosure standards we will need in order to incorporate climate issues into the risk assessment of our collateral framework. ECB staff have also started working on a comprehensive climate risk stress-testing framework, which is due to be ready by the end of the year. And our banking supervisors are assessing banks’ climate risk disclosures and examining how those risks should be embedded in the supervisory process. This is an area where Europe has an opportunity to lead the world, both as a global standard setter and as a centre of green finance. And this could support other policy goals. The EU is already the largest international market for green bonds: European entities account for around 50% of global issuance and around 44% of the global market is in euro. As green finance grows, it could provide another avenue through which to bolster the capital markets union and cement the euro’s international role.”
La BCE dispose désormais d’une page web dédiée à ce sujet. Nous constatons ainsi qu’elle rejoint les banques centrales les plus actives sur cette question, parmi lesquelles nous pouvons citer la Banque de France et la Banque d’Angleterre. Il restera désormais à évaluer dans quelle mesure, et de quelle façon, cette dimensions sera intégrée à l’objectif principal de stabilité des prix et aux “autres missions” de la BCE. Nous voyons déjà se dessiner dans les discours la volonté de faire apparaître la prise en compte du changement climatique comme un impératif pour remplir correctement les objectifs assignés par les traités. Par opposition à une stratégie qui consisterait à aborder cette question sous l’angle d’un nécessaire élargissement des missions de la BCE, ce qui pourrait rencontrer l’opposition des membres faucons du Conseil des gouverneurs.
Le deuxième axe de différenciation concerne la communication de la BCE. Christine Lagarde souhaite atteindre le grand public et communiquer au-delà du seul cercle des experts et des acteurs des marchés financiers. Ce point revient presque systématiquement dans ses interventions. Ainsi, les consultations concernant la revue stratégique se veulent les plus larges possibles. La BCE a également créé un blog pour permettre aux différents membres du directoire d’expliquer les décisions de politiques monétaire et d’analyser les tendances de l’économie. Nous pouvons saluer cette initiative mais la capacité de s’adresser au grand public, via ce blog, serait plus facilement atteinte si les différents billets étaient traduits dans les différentes langues de la zone euro. Dans son allocution devant la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen du 6 février 2020, Christine Lagarde résume sa position à ce sujet comme suit :
Une bonne communication constitue le fondement de la crédibilité de la BCE et sous-tend notre légitimité aux yeux de la population que nous servons.
Mais en tant que banquiers centraux, il est également dans notre intérêt de communiquer efficacement : il est essentiel d’être ouvert et clair pour rendre notre politique plus efficace. Une communication soigneusement calibrée – pensez à la forward guidance – est elle-même devenue un outil de la politique des banques centrales.
Traditionnellement, en tant que banquiers centraux, nous avons été plus à l’aise pour parler à des experts et aux marchés qu’au grand public. Les marchés suivent de près ce que nous faisons et ce que nous disons, et les enquêtes et les études révèlent que nous sommes bien compris par eux. Nous sommes très attentifs à la manière dont les marchés interprètent – ou interprètent mal – nos actions.
Mais nous devons rester vigilants à ne pas nous concentrer trop étroitement sur la communication avec les marchés et créer notre propre chambre d’écho. C’est pourquoi, lors de mon audition devant le Parlement, j’ai annoncé que l’une des priorités de ma présidence était de renforcer notre relation avec le public.
Nos propres recherches révèlent que, même si de nombreux Européens ont entendu parler de la BCE, très peu d’entre eux ont une compréhension plus profonde de ce que nous faisons, et certainement pas de la raison pour laquelle nous le faisons ou de la façon dont notre travail sert le bien commun27cf. l’étude mandatée par la BCE : Young people’s view of the economy, finance, the ECB and their communication channels preferences, Kantar research, 2019.. Nous devons améliorer cela.
Nous venons tout juste de commencer à élaborer une nouvelle enquête dans laquelle nous demandons aux consommateurs leurs anticipations en matière d’inflation, de logement, de consommation, d’épargne et du marché du travail. Nous devons mieux les comprendre, notamment parce qu’elles peuvent varier considérablement d’une région ou d’un groupe à l’autre de la société.
Après tout, ce sont les décisions économiques quotidiennes des gens et des entreprises que nous cherchons à influencer avec notre politique et notre communication. Si notre langage n’est pas accessible, notre politique sera moins efficace.
Nous savons aussi que les gens nous feront davantage confiance et verront véritablement la BCE comme leur banque centrale, s’ils comprennent mieux nos décisions, pourquoi elles comptent et quel impact elles ont sur la vie quotidienne des gens.
Christine Lagarde, 6 février 202028Extrait du discours de Christine Lagarde devant la Commision des affaires économiques et monétaires du Parlement européen. Version originale : ” Good communication forms the bedrock of the ECB’s credibility and underpins our legitimacy in the eyes of the people we serve. But as central bankers it’s also in our interest to communicate effectively: being open and clear is essential to make our policy more effective. Carefully calibrated communication – think of forward guidance – has itself become a tool of central bank policy. Traditionally, as central bankers we have been more comfortable speaking to experts and markets than to the general public. Markets closely follow what we do and what we say, and surveys and studies find that we are well understood by them. We are very attentive to how markets interpret – or misinterpret – our actions. But we have to remain vigilant that we do not focus too narrowly on communicating to markets and create our own echo chamber. This is why, in my confirmatory hearing, I announced that one of the priorities of my presidency is to reinforce our bridge with the public. Our own research finds that even though many Europeans have heard of the ECB, very few have a deeper understanding of what we do, and certainly not of why we do it or how our work serves the common good.[1] We need to improve this. We have just started to develop a new survey in which we ask consumers about their expectations on inflation, housing, consumption, saving and the labour market. We need to understand them better, not least because they can vary significantly across different regions or groups in society. After all, it is the everyday economic decisions of people and companies that we seek to influence with our policy and communication. If our language is not accessible, our policy will be less effective. We also know that people will only come to trust us more, and genuinely see the ECB as their central bank, if they better understand our decisions, why they matter, and what impact they have on people’s day-to-day lives.”
Enfin, Christine Lagarde souhaite promouvoir la diversité dans le fonctionnement de la BCE. Elle peut se résumer par cette citation de Paul Valéry, reprise lors de son audition devant le Parlement européen début septembre 2019 : “mettons en commun ce que nous avons de meilleur et enrichissons nous de nos différences”.
La prise en compte de cette diversité concerne à la fois les membres du Conseil des gouverneurs, le grand public mais également le personnel de la BCE. Comme nous l’avons mentionné, les tensions ont culminé lors du Conseil des gouverneurs de septembre 2019 et il apparaît essentiel que la nouvelle directrice de la BCE permette à l’institution de retrouver un certain consensus pour aborder les défis à venir. Son objectif est donc d’agréger les différentes sensibilités autour d’une stratégie mise à jour à l’occasion de la révision stratégique. C’est le sens du recours à l’image de la chouette, pour se positionner au-dessus des lignes de rupture habituelles.
Concernant le grand public, Christine Lagarde mentionne le besoin d’écouter toutes les parties prenantes de la société (“bien écouter est un élément de communication aussi puissant que bien parler”, en référence à John Marshall, un responsable de la justice américaine au début du XIXè siècle29cf. le discours de Christine Lagarde du 6 février 2020 devant le Parlement européen.).
Concernant son personnel, la BCE a annoncé le 14 mai 2020 un nouveau programme pour améliorer la parité hommes – femmes à tous les niveaux hiérarchiques de son organisation. Bien entendu, cette question avait déjà fait l’objet d’études et de mesures au sein de l’Institution européenne, mais l’annonce d’objectifs chiffrés de parité pour 2026 marque une nouvelle inflexion30 cf. par exemple l’étude de Laura Hospido, Luc Laeven et Ana Lamo (2019)..
Un scénario contrecarré par la pandémie du Covid-19
La feuille de route était donc claire et la fin du ralentissement économique offrait une fenêtre propice à son application. Début 2020, à la différence de la Fed, la posture de la BCE était plus orientée vers une sortie de crise que vers la réaction à un éventuel retournement de conjoncture. Alors que la BCE présentait son processus de revue stratégique, et que le déroulement du Conseil des gouverneurs du 12 septembre 2019 semblait interdire tout assouplissement supplémentaire, le deuxième semestre 2019 voyait les premières baisses de taux d’intérêt aux États-Unis depuis 2008. Malgré une croissance toujours présente, la Fed baisse alors ses taux selon le principe suivant expliqué par Richard Clarida, vice-Président de la Fed : “vous n’avez pas besoin d’attendre que les choses deviennent si mauvaises qu’elles nécessitent une série de baisses drastiques”31Version originale : “you don’t need to wait until things get so bad to have a dramatic series of cuts”.
Cependant, la crise du Covid-19 est intervenue et a pris à revers la BCE. Alors que le message depuis de longs mois était tourné vers un nécessaire rééquilibrage du policy mix de la zone euro, pour ne pas se reposer uniquement sur la politique monétaire (“to avoid overburdening monetary policy”), une nouvelle fois la BCE a dû parer aux problèmes les plus urgents, plutôt que de se consacrer à une révision stratégique à l’échéance reportée en 2021. La BCE, avec à sa tête un directoire profondément renouvelé, a donc dû affronter une crise d’une ampleur inédite en temps de paix, pour laquelle l’absence de référentiel pose question.
Il restera à définir si l’accueil mitigé des premières mesures en mars résulte d’un plan de marche initial pris à revers par le déclenchement de la pandémie, du renouvellement important du directoire ou d’un policy mix toujours inachevé à l’échelle de la zone euro. Il n’en reste pas moins que la BCE s’est employée à apporter des réponses à la crise, trop tardives ou insuffisantes dans un premier temps selon certains. Le billet de l’OFCE de Christophe Blot et Paul Hubert, intitulé “La BCE face à la crise du Covid-19 : encore un effort?” souligne ainsi : “bien qu’il semble que la BCE prenne la mesure de la crise et du risque d’un ralentissement très brutal de l’activité, la question des écarts de taux dans la zone euro demeure et les déclarations de Christine Lagarde ou d’Isabel Schnabel à propos de la fragmentation n’offrent pas de réponse adéquate sur ce point” ; l’article du Wall Street Journal du 4 mars 2020 indique quant à lui : “Alors que les banques centrales d’Australie, du Canada, de Chine, du Japon et des États-Unis ont déjà réagi de manière agressive pour soutenir leurs économies, la BCE s’est jusqu’ici retenue, même si l’économie de la zone est faible depuis un an. Mercredi, au lendemain de la réduction des taux par la Fed de 0,5 point de pourcentage, les ministres des Finances de la zone euro discutaient de la réponse de la zone à la crise lors d’un appel auquel s’est jointe Mme Lagarde.”32Version originale : “While central banks in Australia, Canada, China, Japan and the U.S. have already moved aggressively to support their economies, the ECB has so far held back, even though the bloc’s economy has been weak for a year. On Wednesday, a day after the Fed cut rates by 0.5 percentage points, eurozone finance ministers were discussing the region’s response to the crisis on a call that was joined by Ms. Lagarde”..
Cependant, nous verrons dans un prochain billet que la BCE a annoncé des mesures d’ampleur, rassurant les marchés. En cohérence avec la volonté d’une communication accrue auprès du grand public, en complément des traditionnelles conférences de presse, la BCE a alors systématiquement accompagné l’annonce de ses nouvelles mesures de la publication de billets sur son blog. Les autres banques centrales nationales du SEBC ne sont d’ailleurs pas en reste. La Banque de France a ainsi mise en place une page dédiée sur son site web.
Cette pandémie a également suscité de nombreux débats et articles sur les objectifs que devraient suivre la BCE, sur les instruments nouveaux qu’elle devrait employer (cf. le débat sur la monnaie hélicoptère ou la monétisation des dettes publiques), sur les questions de solidarité européenne, de politiques économiques européennes, voire sur la pérenité de la zone euro. Il sera temps d’étudier ces différents sujets à l’avenir mais il était important de comprendre au préalable pourquoi la BCE a abordé la crise actuelle dans une posture différente de ces dernières années et pourquoi la pandémie de Covid-19 a pris à revers sa stratégie de rééquilibrer le policy mix de la zone euro, au moins dans un premier temps, afin de moins solliciter la politique monétaire. Une nouvelle fois, la BCE se retrouve, malgré elle, au centre des débats.
Conclusion
Malgré son caractère inédit, la crise actuelle ne peut être assimilée à une nuit noire car certains éléments du cadre d’analyse théorique sont connus, avec la concomitance d’un choc d’offre et d’un choc de demande. Mais comme la souligné le premier billet de ce blog, ainsi que les nombreux articles scientifiques à la recherche des leçons des crises passées, l’absence d’évènements comparables dans un passé proche ont entouré les prescriptions des économistes d’une incertitude accrue. Une certaine pénombre existe donc actuellement en matière de politiques économiques, ce qui rend la période si particulière.
Il est à espérer que la présence d’une chouette à la présidence de la BCE sera dès lors utile pour guider la zone euro vers une sortie de crise rapide. Les prochains mois nous indiqueront si le pragmatisme et la flexibilité de Christine Lagarde, couplés à ses huit années à la direction du FMI, institution financière internationale centrale dans la résolution des crises financières internationales, contribueront à une sortie de crise rapide. Cela reviendra, pour la directrice de la BCE, à aller au-delà des mesures accommodantes de son prédécesseur (connues sous l’expression “whatever-it-takes”), sans s’aliéner le soutien des membres les plus faucons de son Conseil des gouverneurs33Cet article des Echos revient sur cet épisode du 26 juillet 2012 lorsque Mario Draghi annonçait que la BCE ferait « tout ce qui était nécessaire » pour sauver la zone euro..
L’histoire de la construction européenne nous indique également que si cette génération de dirigeants européens est à la hauteur de ses prédécesseurs, cette pandémie devrait marquer une nouvelle étape dans l’intégration européenne, via notamment un policy mix plus équilibré. Cependant, les défis ne s’arrêteront pas à cette pandémie, surtout si comme nous l’espérons tous, une deuxième vague peut être évitée. Le “monde de demain”, souvent évoqué lors de cette crise, devrait alors alimenter la revue stratégique de la BCE, notamment sur la question du traitement du défi climatique. Cet enjeu est encore plus important étant donné la déterioration croissante de notre planète au cours de cette nouvelle ère dénommée anthropocène34Une présentation vulgarisée de ce concept est offerte par Francois Gemenne et Marine Denis dans cet article. . Il restera à mesurer en 2021 si la BCE sera également au rendez-vous sur ce sujet, pour que les futures générations puissent disserter, sereinement, sur la biodiversité des représentations animalières de notre microcosme de décideurs monétaires.
Bibliographie
Références scientifiques
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Sites web
Banque Centrale Européenne, site web
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Board of Governors of the Federal Reserve System, site web
Fonds Monétaire International, site web
Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System (NGFS), site web
Ce billet peut être complété par la lecture suivante :
Analyse de l’existence d’un éventuel arbitrage entre mesures sanitaires et activité économique.
[…] Cette position constitue la doctrine actuelle de la BCE. Ainsi, Christine Lagarde, dès son audition devant le Parlement européen le 4 septembre 2019, milite également pour un rééquilibrage du policy mix à l’échelle européenne40cf. le billet du blog du 9 juin 2020 intitulé Une chouette dans la pénombre. […]